Avant-propos

Il n’y a pas eu de changements de pratiques aussi massifs que ceux apportés par l’immunothérapie par anticorps immune checkpoint depuis l’émergence de l’oncologie médicale moderne. Depuis 10 ans, ceux-ci bouleversent avec un rythme accéléré toutes les recommandations de pratiques de prise en charge des cancers, et ce, dès les premiers résultats des phases précoces, avec un rythme de production de connaissance inédit.

Dans ces essais, les gains en survie et de probables guérisons dans un nombre rapidement croissant de cancers fréquents et rares, et de sous-groupes moléculaires partagés entre les tumeurs sont observés. En situation adjuvante, en phase avancée à toutes les lignes, la recherche clinique en immuno-oncologie transforme nos paradigmes de traitements.

Les anticorps anti-PD-1, CTLA-4 gagnent du terrain dans de nouvelles indications et de nouvelles lignes plus précoces. Les cadres nosologiques des cancers en sont ainsi bouleversés. Les marqueurs prédictifs émergeants l’année dernière utilisant 1) l’expression protéique en immunohistochimie (PD-L1, PD-L2, LAG-3…), 2) l’analyse de la charge en néoantigènes (avec des valeurs seuils et des significations variables selon les sous types), 3) l’analyse des infiltrats immuns, du phénotype MSI passent désormais en pratique de routine clinique pour la sélection des patients tandis que l’aneuploïdie, le microbiote, constituent de nouveaux biomarqueurs émergents.

La recherche clinique, en phase précoce, comme en phase avancée progressant très rapidement, avec des centaines d’essais cliniques ouverts, offre précocement aux patients inclus, la possibilité d’accéder à ces médicaments avant leur mise sur le marché.

Une compétition internationale pour l’accès à ces essais s’opère avec de nouveaux pays émergents très actifs, produisant des données de qualité. Les équipes françaises marquent le pas dans ce contexte, ralenties par l’évolution récente d’une règlementation
devenue plus contraignante, et ralentissant les processus d’activation des études, avec comme conséquence, des retraits de demandes d’ouverture d’études, ou des inclusions tardives sur des essais largement entamés. La recherche clinique française est à la peine dans ce contexte. La prise de conscience de ce phénomène au niveau des autorité de santé a conduit à proposer des solutions de corrections, pour revenir au plus haut niveau.

La table ronde dédiée aux nouvelles règlementations en vigueur et impacts sur la pratique clinique, avec Nicolas Albin (ANSM), Thomas Borel (LEEM), Lotfi Boudali (ANSM), Muriel Dahan (INCa), Karim Fizazi (Gustave Roussy) lors des 3èmes Journées Scientifiques Immunité et Cancer, faisait le point sur cette question.

Il a tout d’abord été souligné la volonté de tous les acteurs, praticiens, patients, autorités de santé, INCa de résoudre cette situation complexe. L’expertise et l’activité des centres français dans les études cliniques, notamment précoces, ont été amplifiées par la politique volontariste de l’INCa, sur la recherche clinique, notamment à travers les CLIPs. Les équipes de recherche académique en présence disposent donc de l’expertise et de la reconnaissance nationale et internationale. Plusieurs obstacles à la compétitivité française ont été identifiés et discutés lors de cette table ronde :

1) Délais dans l’analyse des dossiers de recherche clinique au niveau des autorités de santé. Cette étape est en cours de résolution, avec une volonté affichée des autorités de santé de s’appuyer sur des expertises académiques solides permettant d’accélérer le processus de décision. Les métriques de délai d’activation se sont ainsi améliorées en 2018.

2) Le tirage au sort des CPP a entraîné la perte de relations scientifiques fortes établies depuis de longues années entre les équipes et leur comité. Les comités tirés au sort ne disposent pas nécessairement de toutes les expertises pour ces essais très spécialisés et souvent complexes. C’est un écueil majeur qu’il faut corriger possiblement en identifiant des CPP spécialisés, certainement également en renforçant leurs moyens.

3) Le contrat unique avait pour vocation d’accélérer le processus de contractualisation entre les établissements et les pharmas. Malheureusement, ces essais complexes se prêtent mal à un coût « taille unique » et les durées de contractualisation se sont souvent allongées de ce fait.

4) Rapidement évoqués également, les retards ou refus à l’approbation au remboursement des médicaments innovants impactent bien sûr l’accès de nos patients à l’innovation, mais aussi l’attractivité de notre pays, où les patients n’ont parfois pas reçu les traitements de première ligne ou de deuxième ligne standards, qui les empêchent d’avoir les critères d’inclusion ad hoc. Dans le contexte de compétition internationale intense, les filiales françaises des industries du médicament sont de fait à la peine pour vanter les performances de notre pays.

Cette table ronde rassemblant les parties prenantes clés de cet important enjeu a permis de faire le point sur la question de la compétitivité de la France et de ses acteurs dans le développement de la recherche clinique en oncologie. Elle a permis de mettre en évidence les problèmes conduisant à cette perte de compétitivité observée, et les stratégies en place ou à développer pour corriger la trajectoire. Il s’agit d’une chaîne continue, et tous ces points devront faire l’objet de mesures correctives pour que nous regagnions notre position d’excellence.

Pr Jean-Yves BLAY
Oncologue, Centre Léon Bérard, Lyon

Rev Immun Cancer 2019 ; 3 (2) : 67-9.