Il n’y a pas eu de changements de pratiques aussi massifs que ceux apportés par l’immunothérapie par anticorps immune checkpoint depuis l’émergence de l’oncologie médicale moderne. Depuis 10 ans, ceux-ci bouleversent avec un rythme accéléré toutes les recommandations de pratiques de prise en charge des cancers, et ce, dès les premiers résultats des phases précoces, avec un rythme de production de connaissance inédit. Dans ces essais, les gains en survie et de probables guérisons dans un nombre rapidement croissant de cancers fréquents et rares, et de sous-groupes moléculaires partagés entre les tumeurs sont observés. En situation adjuvante, en phase avancée à toutes les lignes, la recherche clinique en immuno-oncologie transforme nos paradigmes de traitements.
Editorial Volume 3 – Numéro 2
Chers collègues,
Les congrès de l’AACR et de l’ASCO de 2019 sont terminés : ils ont réuni respectivement 21 000 et 42 000 participants, une foule sans précédent. Vous trouverez dans ce numéro un résumé des faits marquants de l’AACR. Après des années qui vont marquer l’histoire, il me semble que ces deux congrès montrent l’entrée de l’immunothérapie dans une phase d’extension et de confirmation des activités des anticorps anti-« checkpoints » (PD-1, CTLA-4) et des CAR T-cells. En ce qui concerne les combinaisons, les premières données de ciblage de l’endothélium vasculaire et de l’axe PD-1/PD-L1 sont encourageantes dans certains cancers. Nous sommes dans l’attente de résultats cliniques sur de nouvelles cibles (TIM-3 et LAG-3). Les résultats des études cliniques sur les combinaisons thérapeutiques qui permettront très probablement de surmonter les résistances des cellules tumorales et/ou de peupler les tumeurs « froides » sont également attendus. Malgré les succès de l’immunothérapie et les centaines de milliers de patients traités par le monde, il apparaît clairement que la France est en retard sur le plan des autorisations de mise sur le marché. Il faut dire que l’existence d’un infiltrat immunitaire au sein d’une tumeur a pris des décennies à être reconnue. Que l’apparition d’un cancer soit due à des processus oncogénétiques était admise par tous, mais qu’elle puisse être contrôlée par le système immunitaire l’était beaucoup moins, alors comment faire confiance à l’immunothérapie ? Mais ceci bien sûr n’explique pas tout. La confrontation des listes des différentes indications approuvées d’une part par la Food and Drugs Administration aux États-Unis et par l’European Medicines Agency à celles qui ont reçu une AMM en France présentées dans les tableaux 1 et 2 de la très complète revue de Sophie Hans et al., consacrée aux résistances aux « immune checkpoints » montre que le fossé est grand, et la conclusion du cas clinique présenté par Constance Thibault sur un patient avec un carcinome sarcomatoïde de la vessie traité par le pembrolizumab avec une réponse rapide et prolongée est amère. Comment améliorer cette situation dans un pays qui se veut à la pointe de la médecine, a été débattu lors des 3èmes Journées Scientifiques Immunité et Cancer, et fait l’objet de l’intéressant avant-propos signé par Jean-Yves Blay.
Mécanismes de résistance aux inhibiteurs de checkpoint guidant le développement de thérapies innovantes en immunothérapie
Le développement des immunothérapies a changé le paysage thérapeutique de l’oncologie médicale. Les traitements par anticorps anti-PD-1/PD-L1 sont devenus des piliers dans la prise en charge de patients atteints de nombreux types tumoraux . Cependant, si certains patients présentent une réponse objective et une survie prolongée, on peut observer chez une grande majorité des patients, une rechute après réponse initiale, suggérant l’acquisition d’une résistance secondaire ou l’absence totale de réponse au traitement chez les patients présentant une résistance primaire aux immunothérapies. La compréhension de ces mécanismes de résistance est donc primordiale afin de choisir la stratégie thérapeutique la plus adaptée pour chaque patient et d’identifier de nouvelles cibles de traitement. Parmi les principaux mécanismes identifiés à ce jour, on trouve l’absence d’immunogénicité tumorale, due à la perte des néoantigènes ou des capacités de présentation antigénique, des altérations épigénétiques, la modification du métabolisme tumoral et son impact sur le fonctionnement des cellules du système immunitaire, la mise en jeu d’autres molécules de costimulation inhibitrices ou de la voie adénosine phosphate, et une implication forte du microenvironnement tumoral. Nous avons choisi de développer plus amplement ceux qui nous semblent soutenir les pistes de recherche thérapeutique les plus prometteuses.
Approche de la vaccination dans le cancer
La compréhension des mécanismes d’immunosurveillance et d’échappement au système immunitaire dans le cancer a conduit au développement d’immunothérapies ayant pour but d’améliorer la réponse immunitaire des patients afin d’éradiquer les cellules tumorales. Dans ce cadre, différentes approches ont été étudiées, telles que la vaccination thérapeutique, qui repose sur la stimulation spécifique du système immunitaire contre un ou plusieurs antigènes tumoraux. Ainsi, différentes stratégies de vaccination thérapeutique ont été développées, sous différentes formes. Néanmoins, bien qu’elles aient été grandement améliorées, ces différentes stratégies ne permettent pas d’atteindre des bénéfices cliniques suffisants chez des patients atteints de cancers avancés. Compte tenu des nombreux mécanismes d’immunosuppression présents au sein du microenvironnement tumoral qui limitent considérablement l’action de la vaccination, des études ont été développées pour tester des vaccins thérapeutiques en combinaison avec d’autres thérapies afin d’améliorer leur efficacité clinique. Ce dossier thématique présente les différentes approches vaccinales développées en termes d’antigènes ciblés, de formulation utilisée, d’adjuvants et de systèmes de délivrance mis au point, en soulignant les limites rencontrées par ces stratégies ainsi que les combinaisons étudiées entre vaccination thérapeutique et autres thérapies.
Inhibiteurs de checkpoints immunologiques dans les carcinomes sarcomatoïdes de la vessie
Le carcinome sarcomatoïde de la vessie [CSV] est un variant histologique rare des cancers de la vessie. Il est particulièrement agressif avec un pronostic plus sombre que les carcinomes urothéliaux. L’efficacité des chimiothérapies habituellement utilisées semble moins bonne et les alternatives thérapeutiques sont limitées. Les inhibiteurs de checkpoints immunologiques [CPI]. et notamment le pembrolizumab, ont démontré un intérêt en 2e ligne de traitement dans les cancers de la vessie, avec un bénéfice en survie globale . Aucune donnée n’est disponible sur l ‘efficacité des anti-PD-1/PD-L1 dans les CSV. Néanmoins , cette entité histologique a aussi été décrite dans d’autres types tumoraux [poumon, rein] avec des réponses sous CPI. Dans cet article, nous rapportons le premier cas d’un patient avec un CSV traité par pembrolizumab, avec une réponse rapide et prolongée.
Classification des cancers pulmonaires et prédiction des mutations par réseaux de neurones
Le cancer du poumon est l’un des cancers les plus agressifs, et il a été responsable de plus d’un million et demi de décès dans le monde en 2018 (https://gco.iarc.fr/). Les deux principaux types histologiques de cancers pulmonaires sont l’adénocarcinome (AC) et le carcinome épidermoïde (CE). Cette distinction a un fort impact clinique. En effet, les AC peuvent présenter certaines anomalies moléculaires qui constituent des cibles thérapeutiques potentielles, comme les mutations du récepteur EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor) ou les réarrangements du gène ALK (Anaplastic Lymphoma Kinase). Il est cependant souvent difficile de faire la différence entre ces deux variants, et l’analyse des prélèvements est souvent complexe et longue. L’utilisation de marqueurs immunohistochimiques est également parfois requise en cas de tumeurs indifférenciées. L’identification des altérations moléculaires nécessite d’autre part l’utilisation de techniques de biologie moléculaire particulières, comme le séquençage ou l’hybridation in situ en fluorescence, qui sont coûteuses et dont le rendu de résultat final nécessite le plus souvent au minimum 1 semaine. Il est probable que les techniques modernes d’intelligence artificielle et d’apprentissage profond (« deep learning ») révolutionnent la médecine dans les années à venir. Des algorithmes sont notamment capables de reconnaître différentes structures sur des images médicales comme des scanners ou des coupes histologiques. Ainsi, on peut imaginer que vont se développer rapidement des outils d’aide au diagnostic pour les radiologistes et les pathologistes
L’AACR 2019 : comment combattre les résistances et affiner les biomarqueurs de réponse à l’immunothérapie ?
Quatre cent mille patients cancéreux ont reçu à ce jour un traitement effectué dans le cadre de 2 250 essais thérapeutiques ciblant le système immunitaire. Le congrès de l’AACR qui s’est tenu à Atlanta au mois d’avril a confirmé l’effet bénéfique des inhibiteurs de checkpoint immunitaires (ICI) sur la survie à long terme d’une partie des patients dans de nombreux cancers et celui des CAR T-cells dans les hémopathies malignes. De nombreuses voies de recherche ont été débattues.
L’inhibition des « immune checkpoints » pourrait potentialiser le traitement par cellules CAR-T dans les hémopathies malignes B
Le traitement par lymphocytes T portant un récepteur antigénique chimérique [CAR) dirigé contre le CD19 s’est révélé être d’une efficacité remarquable dans les hémopathies B réfractaires aux thérapeutiques actuelles. Les réponses sont cependant variables en raison de divers mécanismes de résistance. L’un d’entre eux pourrait être associé à l’engagement de voies de signalisation permettant l’échappement tumoral tel que l’axe du récepteur PD-1 [programmed cell death-11 et de ses ligands PD-L1/L2. Ainsi, d’après les différents résultats présentés au congrès de la Société Américaine d’Hématologie [ASH 20181, les patients atteints d’hémopathies malignes B sans réponse suite à un traitement par cellules CAR-T CD19, semblent obtenir un bénéfice lors de l’ajout d’inhibiteurs des« immune checkpoints ». La fonction et la persistance des cellules CAR-T sont améliorées chez les patients répondeurs. Poursuivant dans cette voie prometteuse de combinaison thérapeutique, des cellules CAR-T directement construites pour diminuer leur susceptibilité à l’axe PD-1 sont en cours d’évaluation clinique. Toutefois, l’échec du traitement combinatoire pour de nombreux patients nous rappelle que d’autres mécanismes de résistance aux cellules CAR-T sont en jeu.