Editorial Volume 3 – Numéro 3

Chers Collègues,
Réunie pour la première fois en France et présidée par Guido Kroemer, la 5e Conférence Internationale d’Immunothérapie des Cancers (CICON2019, 25-28 septembre 2019) co-organisée par l’Institut de Recherche sur le Cancer de New York (Cancer Research Institute), deux associations européennes d’immuno-oncologie (Association for Cancer Immunotherapy, CIMT et European Academy of Tumor Immunology, EATI), et la société américaine de recherche sur le cancer (American Association for Cancer Research, AACR), a été un succès à la fois pour son audience (plus de 1 500 personnes) et pour la qualité de son programme scientifique. Je vous fais part de deux points qui ont particulièrement retenu mon attention :
• L’« Exhaustion » revisitée
Le schéma classique considère que les anti-PD-1 agissent en levant l’inhibition des lymphocytes T « exhausted » (épuisés) par la stimulation chronique par les antigènes tumoraux. Une série d’arguments présentés lors du congrès, montrent que ce schéma est faux car les lymphocytes T « exhausted » sont différenciés de manière irréversible en raison de modifications épigénétiques. Ils ne peuvent donc pas revenir à un état fonctionnel. De plus, les anti-PD-1 agissent sur des lymphocytes T progéniteurs exprimant le facteur de transcription Tcf-1, et ayant la capacité de proliférer sous le contrôle du facteur de transcription « Tox » et de se différencier en lymphocytes T « exhausted ». Nous reviendrons dans un prochain numéro sur cette notion importante, qui peut révéler de nouvelles cibles thérapeutiques.
• Le microbiome et l’immuno-oncologie
Si les travaux pionniers des équipes de L. Zitvogel, J. Wargo et T. Gajewsky ont clairement démontré l’importance du microbiome intestinal dans la réponse aux anti-PD-1 dans plusieurs types de cancers, les trois études divergent quant aux espèces de bactéries associées à la réponse . G. Trinchieri, l’un des piliers de l’immuno-oncologie et son équipe se sont penchés sur cette question. En re-analysant l’ensemble des données publiées par ces 3 équipes, aucun rationnel n’est apparu expliquant la divergence entre les types bactéries impliquées dans ces 3 études, qu’il s’agisse de la réparation géographique, du type de cancer ou de la méthode de séquençage du génome bactérien utilisée. Des essais cliniques dédiés devraient apporter des réponses à cette question dans les prochaines années.
Cependant, un consensus émerge indiquant que la composition du régime alimentaire influence la réponse aux anti-PD-1, les régimes riches en fibres étant favorables à une meilleure réponse et associés à un profond changement de la composition du microbiote intestinal, à la fois chez l’homme et la souris. Accompagnées de plusieurs start-ups, les équipes orientent désormais leurs travaux vers ces recherches, le « graal » étant l’identification d’une signature bactérienne chez les répondeurs aux anti-PD-1, et/ou des composants actifs favorables à la réponse aux anti-PD-1 au sein du régime alimentaire.
Enfin, L. Zitvogel a montré la présence de phages au sein du microbiome bactérien (dans les bactéries de type enterococcus) intestinal d’un tiers des patients ayant un cancer du poumon. Les phages sont des virus bactériens qui peuvent provoquer la lyse bactérienne avec libération de quelques dizaines voire centaines de particules phagiques infectieuses. La présence de ces phages dans les fécès semble être associée à une meilleure survie des patients, et à la génération de lymphocytes T reconnaissant un peptide tumoral d’origine enzymatique, présenté sur les molécules de classe I du CMH, et dont la structure est proche d’une séquence située dans la queue du phage. Les phages pourraient participer à la génération d’une réponse immunitaire anti-tumorale par mimétisme moléculaire.
Nous reviendrons sur les points importants abordés dans ce congrès, et dans celui de la Société d’Immunothérapie du Cancer (SITC) qui se tiendra prochainement à Washington dans nos prochains numéros.

L’immunogénicité de la chimiothérapie : un concept uniquement préclinique ?

L’efficacité de la chimiothérapie est associée à sa capacité à éliminer directement les cellules tumorales. Il a toutefois été suggéré dans de nombreux modèles précliniques que la modulation du système immunitaire de l ‘hôte par la chimiothérapie était un facteur déterminant pour obtenir un effet anticancéreux des chimio­thérapies in vivo. Il a en effet été montré que certaines chimiothérapies avaient une capacité particulière à activer le système immunitaire. Ces chimiothérapies dites immunogènes peuvent induire des réponses anti­-tumorales dont le succès dépend de l’intégrité du système immunitaire. Par ailleurs, l ‘association de ces chimiothérapies avec des inhibiteurs des points de contrôle immunitaires aboutit à des effets anti-tumoraux synergiques. Quelle est la pertinence clinique de ces observations chez l’homme ? S’il est maintenant admis que pour certains types de cancers, la qualité de l’infiltrat immunitaire est très fortement associée au pronostic clinique, des études complémentaires sont requises pour pleinement transférer le concept de chimiothérapie immunogène dans la pratique clinique quotidienne. Dans cette revue, nous discuterons plus spécifiquement les questions suivantes : Quels sont les mécanismes moléculaires responsables de l’immu­nogénicité de la chimiothérapie chez l’homme ? Quelles  sont  les  études  cliniques  suggérant  l’importance de la réponse immunitaire dans l’efficacité thérapeutique des traitements anticancéreux ? Comment amé­liorer les stratégies thérapeutiques combinant chimiothérapie et immunomodulation ?

Immunothérapies et cancers viro-induits

Les virus jouent un rôle majeur dans le développement de nombreuses pathologies, et notamment dans la genèse de certains cancers. Presque un cancer sur six peut être attribué à des agents pathogènes, comme des virus tels que les virus des hépatites B et C, le virus d’Epstein-Barr (EBV) ou l’herpès virus 8 (HHV-8). Par ailleurs, le risque de développer un cancer, en particulier vira-induit, après une transplantation d’organe et un traitement immunosuppressif nécessaire pour prévenir  le rejet  de greffe, ou chez un patient  infecté  par le VIH, est augmenté. Nous faisons le point sur les spécificités des cancers vira-induits sur le plan immunologique, et celui des  effets indésirables et de la prise en charge des patients. Les stratégies thérapeutiques de ces cancers, et en particulier la place des inhibiteurs de checkpoints seront discutés dans la  maladie  de  Kaposi  et le  carci­nome à cellules de Merkel, deux types de cancers de la peau viro-induits. Nous aborderons ensuite les mécanismes de cancérogénèse des lymphomes EBV-induits, ainsi que le développement des stratégies thérapeutiques innovantes liées au virus.

Quand le système immunitaire prend le dessus : immunothérapie, DRESS syndrome et cancer du sein triple-négatif

Le cancer du sein triple-négatif est un groupe hétérogène de tumeurs, généralement de mauvais pronostic. L’infiltration lymphocytaire intra-tumorale et l’expression de PD-L1 sont, entre autres, le rationnel pour l’utilisation de l’immunothérapie dans cette maladie en phase métastatique, notamment des inhibiteurs de PD-1 et PD-L1. Cependant, ces traitements ne sont pas dénués de toxicités, et il existe de nombreux cas de toxicités auto-immunes. Nous rapportons le cas d’une patiente traitée par immunothérapie et ayant présenté une réponse partielle dans un essai clinique de phase précoce (association d’immunothérapies anti-PD-1 et inhibiteur d’IDO). Cette patiente a également  présenté une réaction d’hypersensibilité médicamenteuse grave de type IV, appelé  DRESS  syndrome  (drug reaction  with eosinophilia  and  systemic symptoms). L’éruption cu­tanée érythémateuse et prurigineuse, ainsi que l’hyper-éosinophilie étaient au premier plan. Cet événement immunologique a nécessité l’interruption définitive du traitement.

L’immunothérapie en situation néoadjuvante pour les CBNPC de stades précoces

L’immunothérapie (IO) continue à remonter les lignes, après un développement en deuxième ligne (voire au-delà), elle est arrivée en première ligne (seule ou en association) dans les cancers métastatiques, en consolidation dans les cancers localement avancés après radio-chimiothérapie, et voici qu’elle arrive en contexte péri-opératoire dans les stades précoces.
Les patients opérés rechutent dans 50 % des cas, et les essais de chimiothérapie adjuvante (ou néoadjuvante) ont montré une amélioration de la survie à 5 ans d’environ 5 %, mais au prix d’une toxicité non négligeable.
Le rationnel du développement de l’immunothérapie dans cette indication est facile à concevoir, l’idée étant de traiter la plus petite masse tumorale possible, lorsque le système immunitaire n’est pas encore « exhausted » au contact prolongé des néoantigènes. Sur modèle animal, le traitement néoadjuvant apportait des bénéfices supérieurs au même schéma administré en adjuvant, peut être liés au fait que la tumeur toujours en place (contrairement à l’adjuvant), fournit des néoantigènes comme cible au système immunitaire.
Jusqu’à présent, seuls les résultats de toutes petites séries avaient été publiés, servant en quelque sorte de preuve de concept.

Actualités en immunothérapie et hémopathies malignes au congrès de Lugano sur les lymphomes malins (ICML 2019)

En 2013, la revue Science désignait l’immunothérapie contre le cancer comme « l’avancée scientifique la plus significative de l’année ». Les essais se sont multipliés et les preuves de son potentiel thérapeutique accumulées au fil des années. L’immunothérapie consiste à stimuler, ou au contraire inhiber, le système immunitaire d’un patient. Elle repose aussi sur le développement de molécules thérapeutiques qui stimulent ou bloquent certains mécanismes immunitaires naturels. Il faut distinguer les immunothérapies spécifiques, qui mobilisent le système immunitaire contre une cible donnée, des immunothérapies non-spécifiques, dans lesquelles on stimule plus globalement le système immunitaire pour qu’il soit plus efficace.
Les lymphomes non Hodgkiniens (LNH) représentent une pathologie qui se prête remarquablement au champ de l’immunothérapie. Le rituximab, premier anticorps monoclonal (AcMo) introduit en oncologie à la fin des années 1990, a pu largement depuis démontrer son efficacité, et fait partie aujourd’hui des standards thérapeutiques des LNH B dès la première ligne. Malgré ces avancées, 20 % à 30 % des lymphomes B diffus à grandes cellules (LBDGC) sont réfractaires ou rechutent (R/R) au terme d’un traitement initial. Si l’autogreffe de cellules souches périphériques est le traitement standard recommandé dans ces situations, les résultats à moyen et long terme restent médiocres.

Que peut-on attendre de l’intelligence artificielle en immuno-oncologie ?

L’intelligence artificielle (IA) utilise des méthodes d’apprentissage automatique pour l’analyse de grandes quantités de données. Ces méthodes ont le potentiel de révolutionner de nombreux domaines en santé. Nous introduirons le concept d’apprentissage automatique, puis des applications de l’IA en santé, afin de mieux en comprendre leurs apports ainsi que leurs limites. Nous discuterons enfin les perspectives attendues en oncologie, notamment en immuno-oncologie.