Editorial Volume 4 – Numéro 1

Chers collègues,

Voici ce premier éditorial de l’année écrit pendant le COVID-19, par une confinée qui voit le temps s’écouler, les morts s’accumuler, ne rate pas un soir pour applaudir la communauté des soignants, parcourt avec ferveur la littérature scientifique encore balbutiante sur immunité et COVID-19, et réprouve les déclarations témoignant d’un retour de la science vers le passé où la rigueur scientifique est mise à mal au nom d’une « urgence sanitaire ».

Les techniques d’imagerie des tumeurs connaissent un bond en avant sans précédent, qu’il s’agisse d’explorer l’organisation de la tumeur et de son microenvironnement, de suivre l’évolution de la maladie chez le patient ou de connaître les sites de localisation des anticorps thérapeutiques. Nous avons fait appel aux experts du domaine pour écrire un dossier thématique exceptionnel réunissant les compétences de 5 équipes (Nathalie Bonnefoy, Jean-Pierre Pouget, Emmanuel Deshayes, Henri-Alexandre Michaud, Roger Sun, Christophe Klein, Frédérique Penault-Llorca). L’article ouvre des perspectives fascinantes sur l’étude du microenvironnement tumoral par immunomarquages hautement multiplexés qui permettent d’observer de manière simultanée de 10 à 50 marqueurs à la fois sur une coupe de tissu tumoral, sur l’imagerie isotopique par tomographie par émission de positons qui renseigne non seulement sur la progression tumorale, mais aussi sur l’infiltrat immunitaire, et enfin sur la radiomique qui permet de traiter et d’analyser des images standard pour analyser les tumeurs selon de nouveaux critères, suivre leur évolution et prédire la réponse à l’immunothérapie.

Quelle place pour l’immunothérapie en néoadjuvant : mélanome, cancer du poumon et perspectives ?

L’immunothérapie est à présent bien établie comme standard de traitement de première ligne de plusieurs cancers métastatiques (cancers bronchiques, mélanomes, carcinomes rénaux à cellules claires, cancer du sein triple négatif…). Aujourd’hui, les stratégies thérapeutiques d’immunothérapie avancent  dans les  lignes de traitement, avec des études ciblant des patients à des stades plus précoces de la maladie. Les traitements néoadjuvants d’immunothérapie des mélanomes de stade III n’ont plus seulement à visée de réduire la masse tumorale avant la chirurgie mais ont pour objectif  principal d’impacter la survie des patients à long terme. Le mode d’action particulier des immunothérapies permet la mise en place d’une réponse immunitaire spécifique antitumorale qui s’avérerait très efficace lorsque la tumeur et/ou le ganglion drainant sont encore en place. Les stratégies d’immunothérapie néoadjuvante semblent très prometteuses  pour améliorer  la  prise en charge des patients atteints de cancer du poumon aux stades précoces et pourraient impacter significativement la survie de ces patients. Plusieurs essais cliniques sont en cours, notamment pour dé­terminer la combinaison la plus adaptée (avec ou sans chimiothérapie) et s’assurer de l’innocuité de ces stratégies, afin surtout  de ne pas risquer de manquer  la chirurgie,  seul geste curatif  à ce jour. Des données récentes invoquent également l’idée que les stratégies néoadjuvantes pourraient bénéficier à des patients atteints de cancers rares ou incurables comme le carcinome de Merkel ou le glioblastome en rechute. La recherche translationnelle devrait permettre  dans un futur  proche  de  guider  les  cliniciens  pour identifier les patients susceptibles de bénéficier de cette stratégie néoadjuvante (biomarqueurs systémiques ou his­tologiques pronostiques), de définir les modalités de traitement, sur un rationnel construit sur les méca­nismes biologiques et immunologiques de l’évolution tumorale.

L’imagerie ex vivo et in vivo des cancers, le bond en avant

Les tumeurs sont des structures très complexes et le plus souvent difficiles d’accès par des techniques non invasives. Ces dernières années, l’imagerie des cancers a permis des avancées considérables, qu’il s’agisse de mieux connaître l’écosystème tumoral au niveau cellulaire, de suivre l’évolution de la maladie chez le patient ou de connaître où va se localiser l’anticorps thérapeutique. Nous abordons ces questions dans ce dossier thématique où les experts du domaine ont accepté d’expliquer les bases de ces approches et leurs applications en cancérologie. Nous aborderons  d’abord les approches d’imagerie des tumeurs  ex vivo, sur coupes de tissu ou en suspension, puis les nouvelles techniques d’identification et de suivi non invasif des cancers.

Les progrès de l’immuno-oncologie et de l’immunothérapie reposent sur une connaissance approfondie de l’organisation de la tumeur et de son microenvironnement au niveau cellulaire. L’analyse des lymphocytes infiltrant les tumeurs est un outil prédictif simple et robuste. Cependant, de nouvelles techniques permettant des immunomarquages hautement multiplexés des différentes cellules sur une même coupe de tissu ont été développées récemment. De réalisation relativement simple mais nécessitant des équipements lourds pour l’analyse phénotypique, ces techniques permettent d’observer de manière simultanée de 10 à 50 marqueurs sur une coupe de tissu tumoral. Elles vont permettre de mieux connaître les interactions cellulaires, et donc de définir plus précisément les cibles thérapeutiques et d’identifier de nouveaux facteurs pronostiques et prédictifs basés non plus sur une molécule (PD-L1 par exemple) ou un type cellulaire (les macrophages suppresseurs) mais sur une combinaison de ces marqueurs, et démultipliant ainsi les possibilités d’analyse ou de ciblage.

En parallèle de cette formidable évolution technologique, l’imagerie non invasive des tumeurs a également fait des progrès considérables. L’imagerie isotopique par tomographie par émission de positons [TEP] utilise des sondes radioactives qui permettent d’accéder à des informations sur la progression tumorale, le niveau d’expression des points de contrôle immunitaires et la présence d’un infiltrat immun. L’immunoTEP est donc en mesure de fournir au clinicien des informations de manière non invasive pour une thérapie personnalisée. La  radiomique quant à elle est une nouvelle discipline qui consiste à  soumettre des données d’imagerie standard (scanner, PET scanner, ou IRM) à des algorithmes  d’apprentissage statistique afin d’entraîner des modèles pour classifier les tumeurs [fort ou faible infiltrat] ou suivre leur évolution (réponse à l’immuno­thérapie). Des approches d’intelligence artificielle peuvent également être utilisées pour l’extraction des index et l’apprentissage. Il s’agit d’une discipline émergente aux résultats prometteurs.

Rechallenge par inhibiteurs de checkpoint après toxicités immuno-médiées

Les immunothérapies, et notamment les inhibiteurs des points de contrôle immunitaire, dont font partie les anti-PD-1 et anti-PD-L1, continuent d’apporter des preuves d’efficacité dans le traitement des cancers. Du fait de leur mécanisme d’action, elles exposent cependant les patients à des toxicités spécifiques immuno-médiées dans différents organes. Les plus fréquentes sont les éruptions cutanées, les pneumopathies et les colites. Il est décrit ici le cas d’un patient atteint d’un lymphome de Hodgkin, traité par anti-PD-1 et présentant une toxicité pulmonaire de grade 3 corticosensible. La résolution rapide et quasi-totale de la pneumopathie interstitielle a permis le rechallenge par anti-PD-1, jusqu’à une récidive de la toxicité immuno-médiée 6 mois plus tard. L’anti-PD-1 a alors été arrêté définitivement et le patient est aujourd’hui encore en réponse complète persistante.

Nouvelles du congrès de la Société Internationale d’Immunothérapie du Cancer (SITC) (Washington, 6-10 Novembre 2019) Poursuite de l’ascension des inhibiteurs de checkpoint dans le CPNPC et pistes nouvelles : le TGF-bêta Trap et la transplantation fécale

Résultats intermédiaires de survie globale de l’étude IMPower110 de phase III : l’atezolizumab (anti-PD-L1) une option attractive pour le traitement de 1re ligne des patients PD-L1 forts. Roy S Herbst, Yale school of medicine, New Haven Connecticut, USA.

Introduction

Les inhibiteurs de PD-L1/PD-1 (PDI) en monothérapie ou en combinaison avec une chimiothérapie à base de doublet de platine (± bevacizumab) sont le standard pour le traitement de 1re ligne des CPNPC métastatiques, en choisissant les agent(s) selon l’expression de PD-L1. Pour les patients non éligibles pour cette thérapie combinée, la monothérapie par PD-I peut être une option. L’essai IMpower110 évalue l’atezolizumab comme traitement de 1re ligne, chez des patients sélectionnés indépendamment de l’histologie tumorale.

Un nouveau traitement par CAR T-cells mieux toléré dans les lymphomes B diffus à grandes cellules : résultats de l’essai TRANSCEND NHL 001 évaluant le Lisocabtagene Maraleucel (liso-cel)

L’immunothérapie par CAR T-cells anti-CD19 autologues a profondément modifié le paysage thérapeutique des lymphomes B diffus à grandes cellules et deux médicaments sont désormais autorisés, disponibles et remboursés pour les lymphomes B diffus à grandes cellules (LBDGC) réfractaires/en rechute (R/R) à partir de la 3e ligne de traitement. Le liso-cel est un nouveau CAR T-cells anti-CD19 avec un domaine de co-stimulation 4-1BB ayant pour originalité une composition définie en cellules CAR-T CD4+ et CD8+ (Figure 1), information importante pour les cliniciens
puisque la dose perfusée et le rapport CD8+/CD4+ peuvent influencer l’incidence et la gravité des syndromes de relargage cytokiniques et la neurotoxicité . Les résultats mis à jour, avec un suivi des patients à plus long terme dans la cohorte LBDGC de l’essai pivot de phase I TRANSCEND NHL 001 (NCT02631044), ont été présentés en communication orale par J. Abramson au congrès de l’ASH 2019.

L’altération transitoire des systèmes de réparation de l’ADN comme mécanisme de résistance aux thérapies ciblées dans le cancer colorectal

La résistance des cellules tumorales aux thérapies ciblées a un impact clinique  majeur dans le traitement  du cancer, toutes causes confondues. Les mécanismes de résistance semblent multiples mais restent encore à déterminer, à l’instar de ceux observés chez les bactéries.

L’objectif de cette étude est d’évaluer l’adaptation des systèmes de réparation et de réplication de l’ADN de cellules de cancer colorectal comme mécanisme de résistance aux thérapies ciblées. Plusieurs lignées cellulaires humaines de cancer colorectal BRAF mutées (mutation V600E) et sauvages ont été utilisées et traitées par cetuximab seul ou cetuximab et dabrafenib pour les cellules BRAF mutées.

Les résultats montrent que les cellules tolérantes à ces traitements ont une régulation négative des sys­tèmes de réparation et de réplication de l’ADN (système MMR et recombinaison homologue), une augmen­tation concomitante des polymérases favorisant les erreurs de réparation de l’ADN et une augmentation de leur capacité à muter. Ces modifications conduisent à des altérations des régions microsatellitaires. Elles sont observées in vivo dans un modèle de xénogreffe de patients et ex-vivo sur des prélèvements tumoraux de patients sous traitement. Ce phénomène est réversible et serait donc un mécanisme de résistance tran­sitoire aux thérapies ciblées.

En conclusion, l’altération des systèmes de réparation de l’ADN en réponse à un traitement par anti-EGFR et anti-BRAF semble être un des mécanismes de résistance des cellules de cancer colorectal aux thérapies ciblées. Il serait intéressant d’étudier s’il existe des signatures de mutations spécifiques qui émergent lors de traitement par thérapies ciblées.