Editorial Volume 4 – Numéro 2

Chers collègues,
La COVID-19 a profondément modifié nos vies d’immuno-oncologues, apportant pour beaucoup d’entre vous une surcharge d’activité, nécessitant un ajustement des traitements, retardant les inclusions dans les essais thérapeutiques, transformant les rituels annuels d’échange et de partage que sont l’AACR, l’ASCO, l’ESMO, le SITC et l’ESMO-GI en des séances virtuelles…
Merci aux auteurs du secteur hospitalier qui ont contribué à ce premier numéro post-COVID-19 dans cette situation difficile.
Vous trouverez une mise au point de Patricia Lepage, Franck Carbonnel et Benoît Levast sur les liens entre le microbiote intestinal et la réponse aux anti-checkpoints, ainsi que les applications cliniques qui en dérivent, en particulier la transplantation fécale. Dans l’article bref, compte-rendu du congrès de l’AACR 2020 virtuel, Meriem Messaoudene de l’équipe de Bernard Routy à Montréal apporte la preuve de concept de l’effet probiotique d’un dérivé d’un polyphénol isolé d’une bactérie qui modifie favorablement le microbiote intestinal et la réponse à l’immunothérapie. Enfin, pour ceux qui s’intéressent à cette nouvelle facette fascinante du cancer, je vous recommande la lecture de la revue Science (Nejman et al., Science 2020 ; 368 : 973-80). On y apprend que les tumeurs humaines contiennent des bactéries dont le profil est spécifique de chaque type tumoral, les tumeurs du sein étant les plus riches, et que les microbiotes se sont adaptés au microenvironnement immunitaire et aux cellules tumorales. Les tumeurs du poumon des fumeurs contiennent des bactéries qui ont une grande capacité de dégradation des métabolites de la cigarette, alors que les tumeurs du sein ER+ qui produisent des quantités importantes de dérivés de l’oxygène contiennent des bactéries qui produisent des mycothiols aux propriétés détoxifiantes de ces derniers (Nejman et al., et commentaires associés). Ainsi les tumeurs co-évoluent avec des bactéries. Ce nouveau champ de la recherche devrait modifier nos concepts et offrir de nouvelles pistes thérapeutiques dans les années à venir.

Microbiote : nouvel allié contre le cancer ?

Depuis quelques années. les recherches sur le lien entre le microbiote intestinal et le traitement des tumeurs par inhibiteurs de checkpoints immunitaires s’intensifient. De nombreuses études indiquent un lien entre les bactéries commensales et la modulation de l’immunité. Aujourd’hui, l’étude de la composition du microbiote et de l’impact des traitements qui peuvent la moduler suscite l’intérêt de nombreux chercheurs. Nous ferons le point sur les arguments précliniques et cliniques qui permettent d’identifier l’implication de certaines bactéries dans la modulation de la réponse aux immunothérapies et de proposer des mécanismes d’action. En effet, la diversité du microbiote, ainsi que la présence de populations spécifiques de bactéries sont associées à une bonne réponse aux immunothérapies. Ces recherches ouvrent la voie à la modulation du microbiote par l’alimentation, les antibiotiques ou probiotiques ou bien des cocktails de bactéries afin d’améliorer les résultats cliniques de l’immunothérapie. La transplantation de microbiote fécal est aussi à l’étude ; les applications potentielles et problèmes à résoudre seront discutés.

Immuno-oncologie dans les cancers du rein

Longtemps un des parents pauvres des tumeurs solides, chimiorésistant, radiorésistant, le cancer du rein, plus particulièrement le carcinome à cellules claires, n’a pu longtemps bénéficier de traitement systémique efficace. Une première révolution, il y a une quinzaine d’années, avec l’arrivée des thérapies ciblées de type antiangiogéniques a eu lieu. Cette avancée thérapeutique a été possible du fait des recherches sur le mécanisme de carcinogenèse des formes familiales puis sporadiques, soulignant l’importance du gène VHL (Von Hippel Lindau), impliqué dans les phénomènes de néoangiogenèse. Une seconde révolution thérapeutique 10 ans plus tard s’est imposée avec l’avènement des agents inhibiteurs de point de contrôle immunitaire. Malgré ces progrès récents permettant d’entrevoir des rémissions complètes de maladie métastatique de pronostic sévère, certains patients progressent d’emblée. Ainsi, afin de personnaliser le meilleur traitement pour une maladie donnée, la détermination de biomarqueurs pronostiques, ainsi que prédictifs d’efficacité est essentielle. L’objet de cette revue est de faire le point sur les avancées thérapeutiques, plus spécifiquement en 1ère ligne métastatique de carcinome à cellules claires, de même que sur les biomarqueurs susceptibles de guider la sélection des agents thérapeutiques.

CAR T-cells – Gestion des toxicités à partir de deux cas de vie réelle

Le traitement par CAR T-cells a révolutionné la prise en charge de certaines hémopathies malignes en rechute ou réfractaires après un traitement standard. Deux produits CAR-T sont désormais approuvés pour une utilisation clinique tisagenlecleucel pour la leucémie aiguë lymphoblastique B en pédiatrie (LAL-B) et les lymphomes diffus à grandes cellules B (LDGCB), et l’axicabtagene ciloleucel pour le LDGCB. Les toxicités liées à la thérapie par cellules CAR-T sont représentées, principalement par le syndrome de libération des cytokines ISRC) et la toxicité neurologique ou Immune tell-associated neurologic syndrome (ICANS) ou T cell-related encephalopathy (CRES). Dans cet article, nous rapportons 2 cas cliniques de patients atteints d’un lymphome diffus à grandes cellules B en rechute ou réfractaire après plusieurs lignes de traitement. Les deux patients ont initialement été pris en charge en hématologie au Centre Léon Bérard et ont pu bénéficier d’une thérapie cellulaire par CAR-T dans le service d’hématologie du centre hospitalier Lyon-Sud. Ils ont présenté tous les deux des toxicités après thérapie cellulaire de type SRC et troubles du rythme cardiaque pour l’un et de type ICANS et thrombopénie prolongée pour le deuxième cas. La prise en charge précoce des toxicités pour les deux patients a permis une évolution favorable mais malheureusement on a assisté à une rechute du LBDGCB à moins an après la fin du traitement.

Prise en charge d’une toxicité corticorésistante après immunothérapie

Le traitement par immunothérapie, notamment par anti-CTLA-4 peut conduire à des toxicités, dont des atteintes digestives. Nous décrivons ici l’observation d’un patient âgé de 74 ans, diagnostiqué pour un mélanome en 2015 et opéré. En mars 2019, le patient présente une évolution métastatique hépatique et reçoit dans ce cadre, une double immunothérapie par anti-PD-1 et anti-CTLA-4. Le patient présente alors des toxicités digestives sévères et une colite immunologique est diagnostiquée. La corticothérapie par voie intraveineuse est alors indiquée, mais après 21 jours, une récidive des symptômes est observée. La reprise des corticoïdes avec l’instauration d’un traitement anti-TNF-α conduit à une résolution complète de la colite. La réponse antitumorale partielle est maintenue. Au cours de la surveillance, le patient présente des symptômes respiratoires et les analyses évoquent une infection mycobactérienne pleurale. Dans ces conditions, un risque de réactivation d’agent pathogène opportuniste de type tuberculose ou virus CMV existe en effet chez des patients présentant des colites. La recherche systématique de ces réactivations d’infections opportunistes doit faire partie du diagnostic différentiel principal.

Nouvelles du congrès de l’association américaine de recherche sur le cancer AACR 2020 virtuel Inhibiteurs de checkpoint : un schéma posologique alternatif Q6W offre commodité et flexibilité, les structures lymphoïdes tertiaires confirment leur valeur prédictive de réponse, les polyphénols bactériens améliorent leur efficacité dans un modèle murin

Le pembrolizumab est approuvé à l’échelle mondiale dans de multiples indications de cancer à une dose de 200 mg ou 2 mg/kg toutes les trois semaines (Q3W). Un schéma posologique alternatif de 400 mg toutes les six semaines (Q6W), qui offre commodité et flexibilité aux patients et aux prescripteurs, est également approuvé sur des marchés tels que l’Union Européenne (UE), l’Australie et la Nouvelle-Zélande, basé sur la modélisation et la simulation pharmacocinétique (PK). La cohorte B KEYNOTE-555 est une étude clinique ouverte sur des patients atteints de mélanome métastatique conçue pour évaluer la posologie Q6W. Les données PK préliminaires pour valider les évaluations basées sur le modèle ainsi que l’efficacité et l’innocuité du dosage Q6W par rapport aux données historiques seront décrites.

Les macrophages associés aux tumeurs : horizon et perspectives

Malgré l’intérêt croissant pour le ciblage du microenvironnement tumoral dans les thérapies anticancéreuses, avec entre autres le développement des inhibiteurs de point de contrôle immunitaire, certaines cibles intéressantes restent encore sous-exploitées. Dans cette courte revue, nous nous intéresserons à une catégorie de cellules immunitaires : les macrophages associés aux tumeurs. Ces macrophages, cellules très plastiques, pouvant être représentés schématiquement comme étant de phénotype dit « M1 » ou « tueur », ou de phénotype dit « M2 » ou « réparateur », vont infiltrer le microenvironnement, et vont coexister et interagir avec les cellules tumorales. Cependant, cette interaction avec la tumeur va promouvoir la polarisation des macrophages vers le phénotype M2, qui va non seulement avoir une action anti-inflammatoire, mais qui va également promouvoir le développement de la tumeur ainsi que sa dissémination métastatique. Le ciblage de cette population cellulaire dans les thérapies anticancéreuses peut donc être extrêmement intéressant, autant en monothérapie qu’en combinaison avec des inhibiteurs de point de contrôle immunitaire. Plusieurs stratégies thérapeutiques pourront ainsi être proposées : la déplétion des macrophages du microenvironnement, la repolarisation du phénotype M2 vers Ml, et enfin le ciblage de protéines fonctionnelles du macrophage.