Editorial Volume 5 – Numéro 3

Chers Collègues,
Dernière minute
Le congrès de l’European Society of Medical Oncology (ESMO) se tient en ce moment de bouclage de notre 3ème numéro de l’année. Je ne peux pas résister à l’envie de vous commenter à chaud des nouvelles de quelques essais, en particulier d’un qui devrait permettre de changer l’avenir des patientes ayant un cancer du sein exprimant HER2+. Il s’agit de l’étude DESTINY dont les résultats de la phase III me semblent exceptionnels. Elle utilise en 2ème ligne chez des patientes métastatiques le trastuzumab déruxtécan (TDx) un conjugué anticorps médicament composé d’un anticorps monoclonal humanisé avec la même séquence d’acides aminés que le trastuzumab, et ciblant spécifiquement HER2, d’un tétrapeptide clivable par les cathepsines des enzymes produites par les cellules tumorales et d’un puissant inhibiteur de la topoisomérase I comme agent cytotoxique. TDx cible les cellules tumorales exprimant HER2, même si ce dernier est faiblement exprimé car l’inhibiteur de topoisomérase agit à très faibles doses, et donc permet de tuer des cellules ayant fixé de petites quantités d’anticorps anti-HER2. Dans cet essai de phase III, le trastuzumab déruxtécan a été comparé au traitement standard par le trastuzumab emtansine (TM), le trastuzumab couplé à un dérivé de la maytansine, un inhibiteur de microtubules. Les résultats montrent que le risque de progression ou de décès a été réduit de 72 % pour les 261 patientes qui ont été randomisées pour recevoir du T-DXd par rapport aux 263 ayant reçu T-DM1 à la place. La durée médiane de la survie sans progression (SSP) n’a pas été atteinte dans le groupe T-DXd et était de 6,8 mois dans le groupe T-DM1, avec des taux estimés à 12 mois de 75,8 % et 34,1 %, respectivement (hazard ratio (IC 95 %) : 0,28 (0,22-0,37), p = 7,8 x 10-22). Ce traitement ouvre des perspectives non seulement pour les cancers du sein, mais aussi pour les autres cancers HER2+ comme certains cancers de l’estomac et du poumon. Les résultats très prometteurs de la phase Ib/II de l’étude BEGONIA présentés lors de l’ASCO2021, qui combinent TDX à un anti-PD-L1, sont également résumés dans un article bref de ce numéro.

Immunothérapie dans les cancers œsogastriques

Le traitement par inhibiteur de point de contrôle immunitaire (ICI) récemment évalué dans le traitement des cancers de l’œsophage montre une amélioration de la survie globale avec les ICI en monothérapie en 2ème ligne comparée à la chimiothérapie, en association avec la chimiothérapie en 1ère ligne comparée à la chimiothérapie seule et en adjuvant après traitement par radiochimiothérapie puis chirurgie comparée à l’observation. L’amélioration de la survie est significative, mais la proportion de long survivants reste faible. Le seul facteur prédictif d’efficacité des ICI est le niveau d’expression de PD-L1 dans la tumeur. De nouvelles questions de stratégie thérapeutique apparaissent avec l’introduction de cette classe thérapeutique dans le traitement des cancers de l’œsophage. En ce qui concerne les adénocarcinomes gastriques métastatiques avec instabilité microsatellitaire, les ICI ont montré leur efficacité, mais le remboursement est toujours en attente en France. Récemment, la combinaison fluoropyrimidine, oxaliplatine et nivolumab (anti-PD-1) a montré sa supériorité sur la chimiothérapie seule en 1ère ligne dans les adénocarcinomes gastriques métastatiques avec un CPS (combined positive score) ≥ 5. Une autorisation de mise sur le marché est en attente en France. De plus, les essais en situation péri-opératoire sont en cours, combinant les anti-PD-1/PD-L1 au schéma FLOT, et permettront peut-être d’améliorer le pronostic des adénocarcinomes gastriques au stade non métastatique. Le principal enjeu actuel reste l’identification de marqueurs prédictifs d’efficacité au-delà de l’instabilité microsatellitaire et de l’expression de PD-L1.

Immunothérapie et cancers de la sphère ORL

Les inhibiteurs de points de contrôle (checkpoint inhibiteurs) anti-PD-1 (nivolumab, pembrolizumab) ont, dans un premier temps, montré leur activité dans le traitement des carcinomes épidermoïdes de la tête et du cou en rechute ou métastatiques (CETEC R/M) prétraités. Le pembrolizumab, utilisé seul ou en association à un doublet sels de platine-5FU, est maintenant validé pour le traitement dès la première ligne des CETEC R/M dont le CPS ≥ 1. Tout comme cela a été fait pour d’autres types de tumeurs (mélanome, carcinomes bronchiques non à petites cellules, carcinomes rénaux), les anti-PD(L)1 sont évalués aux stades local et locorégional en combinaison aux traitements validés des CETEC. Les anti-PD-1 font également leur place en monothérapie dans la prise en charge des carcinomes indifférenciés du rhinopharynx en rechute-métastatique (UCNT R/M) prétraités et ont récemment montré un bénéfice en survie sans progression lorsqu’ajoutés à une chimiothérapie par cisplatine gemcitabine pour les UCNT R/M dès la première ligne R/M. Les résultats d’efficacité de ces anti-PD-1 sont plus décevants pour des tumeurs plus rares telles que les carcinomes thyroïdiens réfractaires à l’iode ou les carcinomes des glandes salivaires. Différentes approches de combinaisons avec des checkpoint inhibiteurs ciblant d’autres récepteurs ou avec des inhibiteurs de tyrosine kinase anti-angiogéniques sont explorées afin d’améliorer le taux de réponse associé à ces traitements.

Immunothérapies innovantes dans le lymphome de Hodgkin réfractaire/en rechute (rrLH)

Le lymphome de Hodgkin classique est l’hémopathie maligne dont les chances de guérison sont parmi les meilleures en oncohématologie. Dans les situations d’échecs primaires, notamment pour les patients réfractaires aux traitements de première ligne, l’obtention d’une réponse complète est parfois permise grâce à l’immunothérapie. Cependant, ces traitements ne sont pas dénués de toxicité, et l’objectif d’obtenir une réponse complète durable n’est pas atteint pour la majorité des patients traités même si on constate chez la plupart d’entre eux un bénéfice clinique significatif. Nous rapportons le cas d’un patient traité par trois lignes d’immunothérapie après échec de la chimiothérapie conventionnelle. Un traitement par anti-PD-1 (pembrolizumab) puis par un antibody drug conjugate (ADC) anti-CD25 (camidanlumab tesirine) ont permis d’obtenir successivement une réponse métabolique complète. Actuellement, ce patient est toujours traité par camidanlumab tesirine permettant de maintenir une réponse complète depuis 11 mois. Cependant, ce dernier a présenté une toxicité cutanée imputable à l’anti-CD25 dont la dose a dû être adaptée.

Nouvelles du congrès de l’association américaine de recherche sur le cancer AACR 2021 virtuel

INTRODUCTION
La chimiothérapie néoadjuvante entraîne des taux de réponse complète de 30 à 40 % chez les patients subissant une cystectomie radicale (CR) pour un cancer de la vessie. L’identification des répondeurs complets avant la CR serait utile afin d’éviter l’ablation d’une vessie pathologiquement bénigne. Cependant, la restadification clinique après une chimiothérapie néoadjuvante (CNA) par les techniques de cystoscopie et d’imagerie reste très imprécise. Étant donné que les tumeurs de la vessie sont connues pour libérer de l’ADN dans l’urine, les chercheurs ont émis l’hypothèse que les mutations du tissu tumoral (MT) seraient détectables dans l’ADN urinaire à l’aide des méthodes NGS et que la présence de mutations urinaires (MU) après NAC serait corrélée avec la présence de maladie résiduelle au moment de la CR.

BEGONIA (phase Ib/II) : évaluation de la combinaison durvalumab avec le paclitaxel ou le T-Dxd dans le CSTN localement avancé ou métastatique

JUSTIFICATIFS ET OBJECTIFS
Les combinaisons de chimiothérapie et des inhibiteurs de points de contrôle immunitaire pourraient améliorer les résultats par rapport à la chimiothérapie seule chez les patientes atteintes de cancer du sein triple négatif (CSTN) métastatique ; cependant, beaucoup d’entre eux ont encore de mauvais résultats cliniques 1,2. Le trastuzumab déruxtécan (T-DXd) est un anticorps conjugué composé d’un anticorps anti-HER2, d’une liaison clivable et d’un inhibiteur de la topoisomérase I. Il a été récemment approuvé pour le traitement du cancer du sein métastatique HER2-positif préalablement traité, et il a apporté des réponses durables chez les patientes atteintes d’un cancer du sein à faible expression de HER2 dans une étude de
phase Ib 3,4.
BEGONIA est une étude de phase II multicentrique ouverte, multibras, en cours, évaluant la tolérance et l’efficacité du durvalumab (un anti-PD-L1) + paclitaxel (D + P) et D ± P associés à de nouvelles thérapies en tant que traitement de 1ère ligne (1L) pour le CSTN métastatique (NCT03742102). Les résultats initiaux de la 1ère partie intégrant la cohorte 1 (D + P) et la cohorte 6 (D + T-DXd) ont été présentés par P. Schmid au congrès de l’ASCO 2021.

De l’intestin à la tumeur : rôles des microbes dans la réponse immunitaire antitumorale

Les études sur les communautés microbiennes prospérant au contact des animaux, ou microbiotes, ainsi que sur leurs fonctions sur leurs hôtes ne cessent d’augmenter. Dès la naissance, les différents microbiotes, et notamment celui de l’intestin, régulent fortement la physiopathologie chez l’humain. Parmi leurs nombreux rôles, les microbes de l’intestin ont été décrits comme nécessaires au fonctionnement correct et à la maturation du système immunitaire. Par ailleurs, le microbiote de l’intestin influence également l’initiation et la progression des cancers, en plus de la réponse aux thérapies anticancéreuses, ces effets engageant généralement le système immunitaire. En effet, plusieurs genres et espèces de bactéries ont été associés à l’efficacité, voire à la diminution des effets néfastes des immunothérapies anticancéreuses par inhibiteurs de points de contrôle immunitaire. Les trois composantes que sont les micro-organismes de l’intestin, le système immunitaire et les cancers sont donc étroitement liées. Récemment, le groupe de Nejman et al. a décrit la présence et la composition de microbiotes à l’intérieur du microenvironnement tumoral de mélanomes et d’autres types de tumeurs. Des variations en composition bactérienne de ces microbiotes ont également pu être observées entre les sous-groupes de patients répondeurs ou non aux inhibiteurs de points de contrôle immunitaire. Afin de fournir un rationnel permettant d’expliquer cette observation, le groupe de Kalaora et al. a analysé l’ensemble des peptides produits et présentés à la surface des cellules tumorales. En procédant ainsi, les chercheurs ont découvert que la présentation de peptides bactériens immunogéniques par les cellules tumorales permettrait d’activer une réponse immunitaire antitumorale potentiellement capable de promouvoir l’élimination de la tumeur.