Editorial

Chers Collègues,
Ce premier numéro de l’année suit de près les 6es journées scientifiques Immunité et Cancer (JSIC) qui ont eu lieu du 24 au 26 janvier. Les présentations et débats y ont été d’une richesse et d’une qualité remarquables et ont permis de dresser un état des lieux des progrès de l’immunothérapie, d’en éclairer les mécanismes sous-jacents et de discuter des concepts émergents. L’accès aux immunothérapies en France et la mise en place de l’immunothérapie en hospitalisation à domicile ont également été débattus. Un grand bravo et un grand merci à tous ceux qui ont choisi le programme et participé à leur organisation. Avec plus de 1 100 participants, les JSIC deviennent une manifestation incontournable en immuno-oncologie, témoignant ainsi de la vitalité de la discipline et de l’intérêt grandissant des cliniciens pour l’immunothérapie…

Indications et place des immunothérapies dans la stratégie thérapeutique des cancers

Depuis quelques années, l’immunothérapie prend une place de plus en plus importante dans les stratégies thérapeutiques en oncologie et en oncohématologie. En effet, l’immunothérapie a bouleversé la prise en charge des mélanomes et se positionne aujourd’hui comme un standard de traitement dans les tumeurs thoraciques, gastrointestinales, génito-urinaires, gynécologiques, ainsi que dans certaines hémopathies malignes. En effet, il ressort que le pembrolizumab est l’arme thérapeutique à mettre en place dans la stratégie dès la première ligne de traitement du cancer colorectal. À travers les actualités de cette année, la révolution de l’immunothérapie en oncologie solide persiste et signe, avec, d’une part, une remontée des lignes dans plusieurs algorithmes de traitements anticancéreux, notamment à travers des résultats positifs dans le carcinome rénal à cellules claires à haut risque en situation adjuvante, ou encore, en 1re ligne du mélanome avec l’association anti-LAG3 + nivolumab. D’autre part, l’immunothérapie a effectué une arrivée remarquée dans le cancer de l’endomètre en stade avancé ou récidivant en association à un anti-angiogénique, et en 1re ligne de traitement du cancer du col de l’utérus en combinaison avec une chimiothérapie. De même, dans les hémopathies malignes, les approches d’immunothérapie (CAR-T cells et les anticorps bispécifiques) confirment leur place aux stades avancés dans le lymphome et le myélome multiple et montrent des résultats positifs, plus ou moins matures, dans les lignes antérieures de traitement. Une attention particulière est portée aux résultats positifs des immunothérapies dans les leucémies aiguës. En revanche, l’immunothérapie n’a pas encore trouvé sa place dans les cancers de l’ovaire ou les glioblastomes, dans ces derniers, un avenir se dessine avec des approches vaccinales antigènes-spécifiques. Fait marquant ! Le statut CPS (Combined Positive Score) est déterminant pour la prise en charge de certaines tumeurs, notamment pour l’utilisation d’une bi-immunothérapie ou une immunochimiothérapie dans les cancers gastriques, les cancers de l’œsophage et les cancers du sein triple négatif métastatiques. Aujourd’hui, plusieurs essais sont en cours afin de sélectionner les patients qui bénéficieraient d’une meilleure prise en charge et d’enrichir l’arsenal thérapeutique de ces différentes tumeurs.

L’immunothérapie dans le traitement du carcinome hépatocellulaire

Le carcinome hépatocellulaire (CHC) est un des cancers les plus graves, en raison de l’incidence croissante d’une part et d’une mortalité élevée d’autre part, ceci étant d’autant plus vrai au stade avancé, i.e. avec envahissement porte et/ou métastases. Il n’a pendant longtemps pas bénéficié de traitement systémique efficace à l’instar du carcinome rénal à cellules claires. Une première avancée thérapeutique a eu lieu avec l’arrivée des thérapies ciblées il y a une quinzaine d’années, notamment le sorafenib, reflétant l’importance de la néoangiogenèse dans la carcinogenèse hépatique. Cependant, la véritable révolution, en termes de réponse tumorale et de pronostic, a vu le jour avec l’avènement des inhibiteurs de point de contrôle immunitaire (ICI) en 2020. Des réponses jusqu’alors jamais obtenues notamment dans le CHC avancé ont pu être observées, motivant la révision de la stratégie thérapeutique actuelle. Cependant, une partie des patients progressent d’emblée et la question de biomarqueurs prédictifs semble plus que jamais capitale pour une prise en charge optimale et personnalisée. Le but de cette revue est de faire le point complet sur la place de l’immunothérapie dans le CHC, et plus particulièrement dans le CHC avancé, tout en mettant en perspective les avancées dans la recherche sur les biomarqueurs dans l’optique de guider le choix thérapeutique.

Le statut PD-L1 est-il le seul facteur à prendre en compte pour l’utilisation d’immunothérapie en première ligne des cancers des VADS ?

Les cancers de la tête et du cou ont vu leur pronostic changer avec l’arrivée des inhibiteurs de point de contrôle. En situation de rechute ou métastatique, plusieurs options sont possibles en première ligne selon différents facteurs (statut PD-L1, nécessité de réponse rapide, comorbidités du patient…). Nous rapportons un cas clinique où le patient a présenté une progression de la maladie sous pembrolizumab malgré un statut PD-L1 tumoral selon le CPS à plus de 20. Le choix de la première ligne de traitement doit être discuté avec le patient et le statut PD-L1 ne doit pas être le seul élément à prendre en compte. Même chez des patients présentant un statut PD-L1 élevé (> 20), le risque de progression sous pembrolizumab reste élevé.

Le récepteur des cellules T avec les domaines Ig et ITIM, TIGIT : un nouveau point de contrôle immunitaire prometteur

INTRODUCTION
Outre la chirurgie, la chimiothérapie et la radiothérapie, le traitement avec des inhibiteurs de points de contrôle immunitaires (ICI) est une autre stratégie efficace pour le traitement des cancers. Depuis que l’anticorps cytotoxique T-lymphocyte-associated antigen 4 (CTLA-4) ipilimumab est devenu le premier ICI utilisé dans le traitement du mélanome, les anti-PD-L1/PD-1 ont été approuvés pour le traitement du mélanome, du cancer du poumon non à petites cellules, du carcinome épidermoïde de la tête et du cou, des tumeurs solides MMS-H/dMMR, du lymphome de Hodgkin et d’autres cancers. Cependant, seul un petit sous-ensemble de patients atteint une bonne réponse clinique. Ces résultats indiquent la présence d’autres signaux immunosuppresseurs dans le microenvironnement tumoral (TME). Le récepteur des cellules T avec les domaines Ig et ITIM (TIGIT), également connu sous le nom de Vsig9, Vstm3 ou WUCAM, est un récepteur co-inhibiteur comme le sont PD-1, lymphocyte activation gene-3 (LAG-3) et T immunoglobuline-3 cellulaire (TIM3). TIGIT a trois ligands, CD155 [récepteur de poliovirus (PVR)], CD112 [nectine-2 ou poliovirus receptor-related 2 (PVRL2)] et CD113 (nectine-3 ou PVRL3), avec une affinité plus élevée pour CD155…

CAR-T cells et lymphome B diffus à grandes cellules : vers une utilisation en 2e ligne ? Résultats du congrès de l’ASH 2021

JUSTIFICATIFS ET OBJECTIFS
L’immunothérapie par CAR-T cells (« CAR-T ») a révolutionné le pronostic des patients atteints de lymphome B diffus à grandes cellules (LBDGC) en rechute ou réfractaire après 2 lignes de traitement. Axicabtagene ciloleucel, tisagenlecleucel et lisocabtagene maraleucel sont trois CAR-T autologues anti-CD19 approuvés dans la prise en charge des LBDGC en 3e ligne de traitement, dont les deux premiers ont une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France depuis 2018, permettant d’obtenir des taux de rémission complète d’environ 40 à 50 % persistante jusqu’à plus d’1 an après la réinjection. Ces produits présentent des différences importantes qui incluent les domaines de co-stimulation (CD28 pour l’axicabtagene ciloleucel vs 4-1BB pour le tisagenlecleucel et le lisocabtagene maraleucel) et la méthode de transduction du signal (rétrovirus pour axicabtagene ciloleucel vs lentivirus pour tisagenlecleucel et lisocabtagene
maraleucel) (Figure 1). Étant donné leur efficacité et leur coût, l’une des interrogations principales est l’évolution de leur place dans les lignes thérapeutiques vers une indication plus précoce. Actuellement, la prise en charge standard en situation de première rechute repose sur l’immunochimiothérapie intensive de rattrapage suivie d’une autogreffe de cellules souches hématopoïétiques. Cependant, l’efficacité prolongée demeure limitée chez les patients primo-réfractaires et/ou avec une masse tumorale résiduelle significative avant la procédure d’autogreffe avec un taux de réponse globale de 26 % et une survie médiane de 6,3 mois 1. Trois études randomisées pivotales étudiant l’intérêt d’une thérapie par CAR-T en comparaison à la stratégie standard de rattrapage en 2e ligne de traitement chez des patients atteints de LBDGC ont été présentées au congrès annuel de l’ASH en décembre 2021.

Pembrolizumab et nintedanib pour le traitement du mésothéliome pleural

Le mésothéliome pleural est un cancer caractérisé par une forte angiogenèse. Les 30 patients de l’essai clinique PEMBIB (NCT02856425) ont reçu l’anti-angiogénique nintedanib en combinaison avec l’anti-PD-1 pembrolizumab. 24,1 % des patients ont eu une réponse partielle. 68,4 % et 46,6 % des patients ont eu une maladie stable ou en régression lors des 3 ou 6 premiers mois de traitement respectivement, correspondant à un bénéfice clinique ou un bénéfice clinique durable. Les effets indésirables les plus fréquents étaient la diarrhée et la fatigue. Seuls 13,3 % des patients ont eu des effets indésirables de stade ≥ 3 : myocardite et désordre cardiaque, et augmentation du taux de créatine phosphokinase et de lipase. Une patiente est décédée d’une toxicité cardiovasculaire. Avant traitement, les patients ayant eu un bénéfice clinique durable avaient un fort infiltrat de lymphocytes T CD8+ intratumoraux, d’effecteurs mémoires circulants, et de PD-L1 à la surface des cellules tumorales. Les patients avec une maladie réfractaire avaient quant à eux une forte activation de voies de signalisation impliquées dans le développement du mésothéliome, une aneuploïdie plus importante, et des marqueurs de recrutement de cellules immunosuppressives. Cette étude a montré l’efficacité et la sûreté de la combinaison de pembrolizumab et nintedanib pour le mésothéliome pleural. Le profil tumoral avant traitement pourrait permettre de sélectionner les patients qui bénéficieraient le plus du traitement.